Journal d’une bedworkeuse

Journal d’une bedworkeuse – épisode 39

Lundi 20 avril

La motivation est en berne. Je n’ai rien fait ce matin, en tout cas pour le travail. Réveillée vers 3 h, j’ai commencé à me préparer une Playlist pour mes 60 ans qui auront lieu dans… deux ans et demi, même un peu plus. Stéphane est en train d’organiser la fête qu’il donnera début octobre et ça me donne des idées. Son thème : les années 70-80. Moi j’ai déjà trouvé le mien : les musiques noires de 1950 à nos jours. La soirée commencera par Only you, des Platters. Mes parents se sont aimés sur ce slow. Je terminerai par Happy, chantée par Pharell Williams, pour remercier les invités de leur présence. Je ne suis pas spécialement heureuse d’arriver à ce compte rond, mais c’est une occasion pour faire mon « jubilé ». Pour réunir toutes celles et tous ceux qui ont accompagné mon parcours. Et que j’aime.

J’ai fait également ma première consultation vidéo. J’ai dit au médecin que je me sentais abandonnée. Perdue. Que je ne supportais plus le discours des politiques, des journalistes et de leurs consultants, y compris des médecins, qui prétendent que les patients ne visitent plus leurs cabinets. Il m’a dit qu’il me comprenait. A accepté de me prescrire une IRM puisque je ne peux pas bénéficier d’un autre examen, plus risqué en matière de coronavirus. J’ai tout de suite téléphoné à la clinique. Suis tombée sur un répondeur. Quatre heures plus tard, on ne m’a toujours pas rappelée…

Un autre coup de fil m’est parvenu. Je devais commencer aujourd’hui une formation photo, mais, évidemment, elle est annulée. Nous reprenons des dates pour mi-juin et début juillet. Échangeons un peu sur les suites du confinement. Le formateur a besoin de s’approcher de nous, les stagiaires, pour nous aider. Il manipule nos appareils. Nous regarde les utiliser. Avec l’exigence des gestes-barrières et la nécessaire distanciation sociale, son métier est devenu impraticable. La directrice me demande si, de mon côté, je suis en mesure de poursuivre le mien. Je lui réponds qu’à 90 % c’est possible. Enfin, ça, c’est quand je n’en ai pas ras le bol !

Il faut que je me mette au travail sur l’entretien d’hier. Je sais que je dois avoir présents à l’esprit les mots que Marie-Anne m’a confiés, au risque de ne pas être capable de compenser les défaillances de l’outil de transcription. Et pourtant, je repousse le moment où je me remettrai sur le métier. J’écris aux copines pour fixer un apéro (visio bien entendu). À un de mes proches pour lui proposer un entretien destiné à Dire Le Travail. À propos, Patrice m’a rappelé que j’avais oublié le récit de Sébastien. Une tâche de plus sur laquelle je procrastine. Il est compréhensif, s’est occupé du texte à ma place, m’envoie le suivant en me donnant du temps : j’ai jusqu’à vendredi. Myriam, elle aussi, s’y met : elle me renvoie un enregistrement. Je me dépêche de ne pas le télécharger. « Pas vu pas pris ».

C’est aujourd’hui que les impôts ouvrent la fenêtre de déclaration de revenus : d’ordinaire, je m’y attèle dès les premières heures, là je me dis que j’ai jusqu’à juin. Je me vautre donc sur le canapé devant une comédie gentillette à la française, de celles où une famille s’aime et se déteste, où les couples se font et se défont. Mais elle a l’avantage de ne pas être « prise de tête ». Tiens, cela faisait longtemps que je n’avais pas employé une expression, familière celle-là. Hier, en corrigeant le récit de Valérie, j’ai appris la différence entre de nouveau et à nouveau : l’un signifie encore, l’autre implique un changement. Je ne m’en étais jamais préoccupée jusqu’alors, employant indifféremment l’un ou l’autre. J’ai aussi vérifié dans quel cas on écrivait martyr ou martyre : le premier est l’homme que l’on martyrise, l’autre est la souffrance qu’on lui inflige, mais les deux sont masculins.

Avant de sortir pour ma promenade quotidienne, je me lave les mains et me regarde dans le miroir : cela faisait une éternité que je n’avais pas oublié de me maquiller. Eh bien ! je pourrais dire ultérieurement que je ne n’avais pas oublié de me maquiller depuis le confinement. À propos, j’ai vérifié l’usage de « eh bien » sur les sites les plus sérieux comme le Projet Voltaire. C’est grâce à cette institution du « bien parler » que j’ai pu valider la qualité de mon orthographe au niveau expert, destiné aux métiers de Lettres. Mais je reste bien sûr perfectible, la preuve… Eh bien ! on doit dire « eh bien ! » quand on pratique l’exclamation, à condition de lui adjoindre le point du même nom, et de ne pas imposer la majuscule au mot qui lui succède.

Pour en revenir à mon « niveau » de motivation d’aujourd’hui, moi qui préconise de ne rien changer à nos rituels, qui conseille de ne pas se laisser aller, j’observe que je ne me suis pas appliqué mes propres consignes. Pourvu que ce ramollissement ne soit qu’une passade. Il faut que j’arrête de me flageller. J’ai quand même finalement réussi à remplir ma déclaration d’impôt en ligne. Et ce, malgré deux déconnexions intempestives qui m’ont fait craindre le pire. J’ai trouvé également le courage de recontacter la clinique. Le secrétariat semble m’avoir oubliée. Mon interlocutrice enquête : pourquoi cette IRM est-elle prescrite ? Qui a rédigé l’ordonnance ? Elle finit par me dire qu’elle doit organiser au préalable un rendez-vous en rythmologie pour régler les paramètres de mon pacemaker avant l’examen. Me dit à tout à l’heure. Doit donc me rappeler rapidement. Ne le fais pas… J’ai le sentiment d’être coupable de demander à être soignée.

Hors du Covid-29, point de salut !

Corinne Le Bars, écrivain public et biographe


à suivre…


Licence Creative Commons
Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.