Journal d’une bedworkeuse

Journal d’une bedworkeuse – épisode 24

Dimanche 5 avril

C’est la première fois que cela m’arrive : je n’ai pas renseigné mon journal de bord ce dimanche. Lassitude ? Sentiment de vacuité ? Je ne m’en suis même pas aperçue. C’est en l’ouvrant le lundi matin que j’en prends conscience. Et pourtant, je n’ai pas chômé.

Retour en arrière de vingt-quatre heures… Je consacre la matinée à mon dossier de demande de subvention au FADEL. Le dossier est conséquent : sept pages, une liste de pièces à fournir longue comme le bras, dont les devis concernant les équipements que l’on souhaite faire financer. Pour ma part, je souhaite acquérir une barrette de RAM pour augmenter la mémoire de mon ordinateur portable : je suis déjà obligée de mettre tous mes fichiers sur une clé USB de 128 Go. J’ai aussi besoin d’acheter un appareil-photo numérique afin de pouvoir illustrer mon journal par des images dignes de ce nom. Ce sera d’autant plus nécessaire que je suis inscrite à une formation intitulée : « Image numérique, Photographie et Photoshop ». Elle doit se dérouler en présentiel du 20 au 24 avril prochain. Je « tends le dos », comme le dit l’expression consacrée (encore une, si un jour je n’ai plus d’occupation, je pourrai faire la liste des dix expressions françaises que j’emploie le plus souvent). Le confinement doit s’achever le 15 avril, mais, comme je l’ai déjà dit, rien n’est moins sûr…

J’aimerais également me doter d’une imprimante aux performances plus professionnelles que celle de mon compagnon. Mes critères principaux sont, selon toute logique, la bonne qualité d’impression des photos, mais aussi le recto verso automatique et la polyvalence. Une relieuse complèterait avantageusement le tout : si je dois contacter des maisons d’édition, pouvoir envoyer un exemplaire relié est un plus !

Munie de tous ces objectifs, je pars surfer sur les sites des fournisseurs de matériel informatique. Je choisis de manière prioritaire les grands magasins qui ont pignon sur rue et qui peuvent assurer le service après-vente. Je constate que Boulanger n’a plus de stocks et n’assure plus les livraisons. Il est donc impossible de simuler une commande afin de pouvoir obtenir quelque chose qui s’apparenterait à un devis. C’est donc auprès de la FNAC que j’exécute l’opération : 951 € pour les quatre équipements. Enfin quatre, plutôt six puisqu’à l’appareil-photo, il faut rajouter la batterie et le câble !!!

Ce qui me prend le plus de temps, c’est la comparaison des articles. Je n’y connais rien du tout en imprimantes, encore moins en Reflex, Hybrides et autres Bridges, en passant par les Compacts. Je finis par opter par un appareil Bridge (cette catégorie correspond à un intermédiaire entre le compact et l’hybride, d’où le terme, pont en anglais). Ce n’est apparemment pas la panacée, sauf le modèle pour lequel je finis par me positionner. Il « tire bien son épingle du jeu » (ah là, ce n’est pas moi qui l’ai dit, mais les comparateurs).

L’après-midi, comme il fait un temps estival, je prends mon café sur la terrasse et je fais « le tour des popotes » (ah oui, j’avoue, là c’est bien moi, mais c’est tellement bon !). Je téléphone à une quantité d’ami-e-s. Tiens, un peu d’écriture inclusive, c’est rare chez moi, ça aurait plutôt tendance à m’agacer. C’est lourd et difficile à manier. Et puis tellement hypocrite… Bref, j’appelle du monde et je reçois des nouvelles de ma petite planète. Elles sont bonnes.

Laetitia, pourtant, est un peu inquiète : elle continue à se rendre dans les bureaux glauques de sa circonscription d’action sociale (le ménage n’y est plus fait depuis le 17 mars) et y croise quelques collègues, en particulier les puéricultrices de la Protection maternelle et infantile (PMI). Comme les accouchées sortent désormais de la maternité au bout de seulement vingt-quatre heures, la PMI prend le relai de la surveillance des mamans et des nourrissons en se rendant au domicile des patientes. Alors, Laetitia « psychote » au moindre signe de rhume…

Arnaud, quant à lui, devait partir à Cuba début mai et son vol a été annulé. Il a demandé la suppression de sa semaine de congés à son employeur, qui la lui a refusée. Il oblige aussi tous les personnels à prendre une RTT chaque semaine. Il est en colère, s’en prend aussi au gouvernement qui a desserré la visse du droit du travail, autorisant les patrons à assouplir les règles favorables aux salariés.

Laure s’étonne d’avoir tant à faire en télétravail. Elle observe que la situation de confinement invite à accomplir des tâches qu’elle laisse de côté habituellement faute de temps ou encore à moins procrastiner. Elle note aussi que, si les réunions de travail qu’elle organise en visioconférence avec son équipe favorisent la poursuite de l’activité, elles permettent aussi le maintien du lien social et les longues digressions…

Corinne se retrouve seule avec sa fille très lourdement handicapée depuis que l’accueil de jour a fermé ses portes. Plus d’auxiliaire de vie sociale à la maison le matin, et le soir non plus. Elle a fait comprendre à sa fille qu’elle reprendrait désormais les horaires habituels, horaires qu’elle avait assouplis au début du confinement : retrait dans sa chambre à 21 h. Ainsi retrouve-t-elle une respiration le soir. Elle aussi fait part de ses craintes : et si les congés d’été étaient réduits à deux semaines pour rattraper le temps perdu ? Comment organiserait-elle la prise en charge de sa fille ?

Tous ces témoignages constituent des bribes de récits de travail obligé, empêché, supporté, augmenté… Ils me rappellent que je dois travailler sur le récit de Julie, recueilli il y a quelques jours. Puis je sors profiter du soleil : le bord de mer est désert, alors que par ce beau dimanche il devrait être noirci par les promeneurs. Impression d’après-apocalypse.

Corinne Le Bars, écrivain public et biographe

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