Journal d’une bedworkeuse

Journal d’une bedworkeuse – épisode 21

Samedi 28 mars

5 h 45 : je quitte une chambre pour une autre, un lit pour un autre, je me glisse du-lit-pour-dormir au lit-pour-travailler, du bedsleeping au bedworking.

Je travaille sur le texte de Laurence, émouvant, terrible, qui dit la perte du sens d’un métier qu’on a aimé et qui s’est perdu au fil du temps, s’étant soi-disant adapté aux exigences de l’économie moderne, mais qui s’est plutôt dévoyé, ayant soi-disant rendu ses clients plus autonomes, mais qui a créé de nouveaux besoins, ayant soi-disant gagné en efficience, mais qui a aboli les frontières entre journée et soirée, entre jours ouvrés et dimanches…

Je m’attache ensuite à compresser les images que je souhaite voir figurer dans ce journal de bord : elles doivent impérativement faire un maximum de un mégaoctet, à défaut DLT (vous vous souvenez, la Coopérative Dire le travail) ne peut pas les mettre en ligne. Je passe un temps infini à rogner le poids des photos. Il me souvient que, dans l’ancienne vie, un magazine bien connu avait pour slogan : « Le poids des mots, le choc des photos ». Ici, c’est l’inverse : « Le choc des mots, le poids des photos ». Je ne suis pas encore familiarisée avec les outils de compression en ligne, encore un apprentissage que le confinement m’aura donné, mais ce n’est pas une sinécure ! Ah, encore une expression. Elle nous vient de la religion et signifiait en latin : « bénéfice ecclésiastique sans travail », un pléonasme non ? Il ne faut pas que je cède à mes tentations de bouffer du curé, j’arrête…

En amont et en aval du déjeuner, je travaille sur le texte de Sébastien, responsable RH d’une communauté d’agglomération des Hauts-de-France. Je ne parlerai pas de son contenu, il rejoindra bientôt mon journal sur le site de Dire Le Travail. En revanche, je peux dire que je n’arrêterai que pour m’octroyer un petit gouter. Une amie m’indique qu’elle connait un boulanger qui accepterait de se prêter à une interview pour Dire Le Travail. Elle l’a connu quand elle fréquentait la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et elle a commis un article sur lui pour un ouvrage intitulé Histoires de vies et solidarités, que je dirige, mais qui tarde à recevoir les contributions. La période devrait être propice à l’écriture, espérons-le.

Comme mon premier client n’a toujours pas trouvé de maison d’édition, je fais une recherche dans l’annuaire des éditeurs normands. J’en trouve une grosse quinzaine dans le Calvados et je leur écris pour leur proposer de publier ma première biographie et pour leur soumettre l’idée d’une collaboration plus large. Les dossiers de subvention du Fonds d’aide au développement de l’économie du livre sont à déposer bientôt, c’est le moment pour présenter un projet de partenariat. Un mail de Normandie Livre et Lecture nous est parvenu il y a quelques jours : en raison de la crise du coronavirus, le Centre national du livre allège ses conditions de dépôt des demandes d’aide. C’est aussi le moment. Je mets cette tâche de côté pour demain. J’ai appris en presque trois semaines à en « garder sous le coude » (il faut que je fasse attention, c’est déjà ma deuxième expression de la journée).

Plage confinée

Je sors marcher quarante-cinq minutes environ et j’en profite pour aller jusqu’à la mer. Devant la barrière, qui barre l’entrée de la plage, me vient l’idée saugrenue que le littoral est confiné : sans les résidents et les touristes, il vit seul et doit s’occuper en courbant l’échine à la brise, aux marées et au ressac. En rentrant, je reçois une invitation à partager un moment d’amitié par une copine. La réunion se fait par l’intermédiaire de Zoom, « ine visioconférence d’entreprise avec messagerie et partage de contenu en temps réel », comme l’indique son site. Je ne connaissais pas cette application avant le confinement. Nous sommes trois participants, j’entends et je vois très bien Christine, l’une d’entre eux, mais le troisième reste muet. Ne pouvant pas se faire entendre et assistant, impuissant, à notre échange bilatéral, le rendez-vous avorte. Toutefois, j’essaierai ce procédé avec Marie-Anne, une de mes clientes, lors de notre prochain entretien biographique : je n’ai subi ni décalage ni coupure avec Christine.

Je finis ma journée de travail confiné en recevant deux propositions pour Dire Le Travail : une amie a connu un boulanger sur la Zone à défendre (ZAD) de l’ancien futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes, il accepte que je l’interviewe ; mon locataire, traducteur, m’envoie un court texte qui constitue la première page de son cahier de bord. Je vais donc envoyer toutes ces bonnes nouvelles à la Coopérative, sans compter les derniers épisodes de mon propre journal, comme tous les trois jours…

À demain !

Corinne Le Bars, écrivain public et biographe

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