Des récits du travail

Il faut cultiver nos jardins publics

Michel Berthe vient tout juste de prendre sa retraite de jardinier municipal. Il jette un regard plein de philosophie sur le travail par lequel il a contribué à apporter dans sa ville une certaine « lumière ».

À l’origine, je suis un homme issu de la terre. Mes parents étaient maraichers, mes grands-parents agriculteurs. J’ai travaillé jusqu’à l’âge de 27 ans sur l’exploitation de mes parents. J’y ai pris mon pied. Puis j’ai été jardinier municipal. Maintenant, je suis en retraite depuis quatre mois.

Malheureusement ou heureusement, je n’ai pas repris la suite de mes parents. Géographiquement, nous étions trop près du centre-ville : l’exploitation était menacée d’expropriation. D’un côté, ne pas continuer le maraichage a été une chance pour moi puisque la conjoncture s’est dégradée d’année en année. Aujourd’hui, l’agriculture, c’est une vraie catastrophe. Il n’y a que les très gros maraichers qui s’en sortent et ce ne sont plus des maraichers, ce sont des industriels. Donc, ce n’était pas fait pour moi. J’avais un rapport plus artisanal avec le maraichage. Nous, c’était la petite entreprise. Nous commercialisions nos produits sur les marchés locaux. Donc, nous faisions de tout, mais pas des grosses quantités. Selon les principes d’une culture raisonnée, nous limitions au maximum les intrants. Ce qui nous coutait cher parce qu’il y avait des pertes. Mais on avait la qualité. On avait une clientèle. On n’avait aucun problème pour écouler notre production. On cultivait une quarantaine de légumes différents pour approvisionner les marchés du coin.

Quand l’exploitation s’est arrêtée en 1987, je me suis retrouvé sur le marché de l’emploi et j’ai été embauché à la ville de Guérande comme paysagiste. Mais ce que je faisais n’était vraiment pas du travail de paysagiste puisque j’étais chauffeur… Accessoirement, je faisais du paysage : la tonte de pelouses, le désherbage, un peu de taille.

Au départ, mon acclimatation comme employé municipal ne s’est pas faite toute seule. Je suis d’un tempérament plutôt indépendant. Donc, se retrouver fonctionnaire du jour au lendemain, ça a été difficile. Difficile aussi de me faire accepter par mes collègues. Du fait que j’étais d’un tempérament indépendant, je « bourrais dedans » comme on dit… sans doute un peu trop aux yeux de mes collègues.

Les douze premières années, j’assurais les déblais des services techniques. C’était fatigant. J’étais le dernier à passer sur un chantier pour retirer les restes de tonte, de gravats quand on a épierré pour faire une création. Ça, ce n’était pas très valorisant. Mais je travaillais seul, donc ça m’intéressait. J’étais mon maitre. Dans la semaine, je savais que j’avais telles et telles choses à faire. Il fallait s’organiser. Et, comme j’avais une bonne cadence, on m’a laissé à ce poste plus de temps que je n’aurais souhaité.

Au bout de ces douze ans, on m’a changé de poste, et là, on m’a associé à un collègue avec qui je formais un binôme pour faire presque exclusivement de la tonte et du désherbage. Nous devions laisser les opérations de tailles à ceux qui ont été dans des écoles d’horticulture et dont c’était la spécialité.

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De la même façon, nous devions laisser les gens « de métier » faire de la création qui est un travail beaucoup plus agréable. Il fallait en effet avoir des connaissances que je n’avais pas. Des connaissances dans les végétaux, savoir dessiner un espace vert. Je ne pouvais donc pas apporter beaucoup de touche personnelle. Je n’avais pas été préparé à ça. Si j’ai fait un peu de création, c’était occasionnellement : des aires de piquenique ou dans les écoles… de la bricole, quoi. Mais, dans l’ensemble, ce que je faisais me plaisait quand même parce que j’étais au contact de la nature, même si c’était un peu routinier.

À l’époque, on mettait du désherbant. Mais ça fait dix ans que c’est terminé. La transition entre le désherbage chimique et le désherbage écologique s’est faite lorsque nous avons eu un nouveau chef qui était vraiment écolo. Il a été décidé, en accord avec les élus, qu’il n’y aurait plus de produits phytosanitaires utilisés dans la ville de Guérande. Ça s’est fait en moins de deux ans. Maintenant, il y a davantage d’herbes dans les abords de la ville et les jardiniers emploient l’huile de bras, ils manient le paroir. Et ce n’est pas rien. C’est plus facile de passer le désherbant et ça coute moins cher._IGP6513 Toutes les villes font un effort pour le fleurissement, pour la verdure, pour les pelouses. Depuis le changement de chef, on a mis de plus en plus de fleurs au pied des murs, le long des trottoirs de Guérande. Ce sont des espèces vivaces qu’on plante une fois pour toutes et qui demandent à être sarclées, un peu arrosées et taillées. Ça pose problème parce que l’effectif des jardiniers ne grossit pas et, comme il y a, tous les ans, à peu près deux kilomètres supplémentaires de pieds de murs qui sont installés, ça fait beaucoup de travail.

Les gens apprécient, tout le monde en réclame. Mais rares sont les habitants qui font de l’entretien, ce qui est fort dommage parce que les jardiniers interviennent au moment où l’herbe est devenue envahissante. Donc, ça pourrait être un peu plus beau si les gens y mettaient du leur. Parfois, des riverains promettent de s’occuper de leurs pieds de murs, mais ils ne demandent pas beaucoup d’explications, et ça n’a pas souvent de suite. En fait, c’est simple comme tout. Il suffirait d’assurer un peu le désherbage, les jardiniers n’auraient plus qu’à faire la taille. Mais les espaces verts ne sont pas gérés en concertation avec les habitants. Ce sont les employés de la mairie qui font le travail. Depuis quinze ans ils ont, pour ça, tout l’outillage qu’il faut. Les derniers élus ont investi dans le matériel : les jardiniers ne manquent de rien.

Ainsi, j’ai participé à l’entretien des espaces qui profitent à tous. Et je sais que les gens aimaient bien me voir arriver avec mon collègue. Ils disaient gentiment : « On vous attendait. Vous devriez passer plus souvent… » Mais la période où il y a le plus à faire, c’est aux mois de mai, juin et juillet, là où l’herbe pousse le plus et où il y a le moins d’heures travaillées. Pas étonnant qu’il y ait du retard. En réalité, les gens se rendent bien compte qu’il y a davantage de rondpoints, davantage d’espaces verts. Ils comprennent que les jardiniers n’arrivent pas à fournir pour que le travail soit fait en temps et en heure. Quelques-uns, bien sûr, rouspètent. Mais on a plus de félicitations que de reproches. J’ai entendu : « Vu la surface que vous avez à entretenir, comment vous vous y prenez pour tout faire ? » Ou bien : « Vos fleurs sont très belles cette année, les couleurs sont bien choisies. » Et ça ne me dérange pas de les voir marcher sur les pelouses. Elles sont faites pour ça : ce sont des pelouses rustiques. Par contre, je ne supporte pas de voir des chiens divaguer dans les massifs de fleurs ou laisser leurs déjections dans l’herbe ou sur les trottoirs. Vous imaginez ce qui se passe quand on passe le roto-fil pour tailler les bordures…_IGP6515

L’intérêt pour les espaces verts s’est développé depuis mes débuts. C’est très récent pour des villes comme Guérande. Même à Nantes, auparavant, les jardiniers s’occupaient des espaces nobles comme le jardin des plantes mais n’avaient pas beaucoup d’intérêt pour le reste. Maintenant, il y a une autre approche qui consiste à apporter de la verdure et des fleurs là où on ne les attend pas, à soigner des espaces délaissés, en pleine campagne : un peu de tonte, un peu de taille, quelques fleurs vous embellissent un carrefour. Ce ne sont plus des réalisations de prestige avec des plantes plus ou moins exotiques. On se rapproche des gens pour leur offrir un peu de lumière au milieu du bitume.

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Ce dont je suis le plus fier, c’est d’avoir de beaux rondpoints. Il y a des rondpoints qui sont bien fleuris et auxquels j’ai participé. Celui que je trouve le plus beau, c’est celui qui est près du centre culturel, où il y a une petite cascade. Ou alors des rues comme le chemin qui passe derrière la mairie et qui monte jusqu’à la chapelle St Michel, et aussi le chemin de Mauperthuis. Ce sont des petites rues où il y a de beaux pieds de murs fleuris et qui demandent beaucoup de travail. Des petits chemins comme ça, ce sont de belles réalisations.

Même si j’ai travaillé dans les rues par tous les temps, avec la pluie, le vent, la chaleur, ces années passées comme jardinier municipal ont été de bonnes années. Mais mon cœur est resté sur l’exploitation de mes parents maraichers. Pourtant, je ne me plains pas du temps que j’ai passé comme employé municipal parce que, tout en étant en ville, j’étais proche de la nature. Vous ne m’auriez pas mis dans un bureau ou dans un atelier.

Maintenant, je suis en retraite et je vais avoir de quoi m’occuper avec mon jardin d’agrément de 800 m², près de ma maison, et deux autres potagers. Je n’ai pas perdu le contact. Il me faut ça.

Michel Berthe
Propos recueillis et mis en récit par Pierre Madiot


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