Dire le travail en temps de confinement

Faire le cercle avec les élèves

Cécile est professeure d’éducation physique et sportive en collège. Dans ce texte écrit le 26 mars, elle revient sur l’avant et se projette sur l’après confinement, pour l’enseignant, pour ses élèves.

Il y a deux semaines, j’allais chercher mes élèves dans la cour… Je profitais du temps de trajet pour recueillir les bobos quotidiens, les élans de flemme soudains de certains, les chicanements et autres sourires. Il y a deux semaines, les élèves étaient réunis autour d’un maitre de Capoeira, et apprenaient, plus ou moins, des gestes du jeu de Capoeristes, des chants et autres rythmes sur des instruments brésiliens. Il y a deux semaines, Abdel et encore beaucoup d’autres décrétaient n’avoir rien à faire de la Capoeira et s’étaient assis dans un coin. Il y a deux semaines, je sortais du cours un peu vidée après qu’un début de bagarre ait commencé à dégénérer entre deux élèves pour une moquerie de trop.

Il y a dix jours, après qu’un état dit « de guerre » soit déclaré, que de multiples informations contradictoires nous soient données, nous recevions une injonction de continuité pédagogique…

Il y a neuf jours, je me suis totalement stressée, et cela a duré… Une agitation stérile s’est emparée de mon clavier d’ordinateur et de mon cerveau, jusque dans mes rêves.

Il y a trois jours, j’ai repensé plus spécifiquement à Abdel, à ce qu’il pouvait vivre ces derniers jours, enfermés chez lui. Lui qui préférait venir à l’école plutôt que de rester chez lui, quitte à être exclus de tous les cours. J’ai pensé au sens de notre projet qui visait en partie ces dites « valeurs de partage ». J’ai pensé au lien que nous tentions de créer chaque jour avec chacun de ces loustics. J’ai encore mieux perçu ces « élans vers », qui ne s’imposent pas, ne se décrètent pas.

Il y a deux jours, je suis arrivée à sourire de cette injonction de continuité des programmes, de propositions de musculation et autres logiciels de remise en forme. Je me suis dit que Abdel était probablement, en EPS surtout, en pleine continuité, bien installé, je l’espère, sur un canapé. Je l’en ai remercié. Et aujourd’hui, j’essaie d’imaginer ce que cette période pourra faire évoluer dans mon rapport au travail, de leur rapport à l’école, dans notre lien à tous… De ce que je pourrais en tirer d’humilité.

Si la Capoeira n’a pas forcément connu l’adhésion de toute la classe, je me souviens ce que nous a transmis l’enseignant. Il nous a plusieurs fois parlé de l’importance du cercle, de son symbole. Il a évoqué l’absence de hiérarchie dans un cercle, l’invitation à l’expression de soi, au récit commun, la proposition de la rencontre, sans imposition.

Pour la reprise, nous formerons un grand cercle, et puis… on verra !

Cécile, professeure d’EPS


autre récit de la même auteure : Poupées gigognes

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