Des échos des ateliers

Des moments décisifs

On prend des risques au travail, quand il faut dire non, ou bien oui, dire quelque chose en tout cas, faire face. On est entre professionnels, mais pas seulement : ainsi, il y a ce qu’on se dit dans le bureau, au cours de la réunion, et puis le reste du temps, dans l’ascenseur, sur le chemin de la cantine ; il y a ce qu’on veut bien faire parce que c’est lui qui le demande, et ce qui ne passe pas parce que ce n’est pas le moment ce jour-là. Il faut prendre en charge ce qu’on a à faire : mais comment s’en sortir quand la consigne déborde le cadre prévu, quand elle oblige à bâcler, quand elle empiète sur la vie privée, quand on ne peut rendre compte de tout ce qui a été fait mais qui ne se voit pas ?

Au cours de cet atelier, qui s’est déroulé à Pierre-Bénite le 29 septembre, les participants ont écrit sur de tels moments décisifs de leur travail, les ont présentés au groupe. La proposition était d’imaginer le dénouement idéal : il n’est peut-être pas pour tout de suite, mais ça peut aider à imaginer d’autres résolutions possibles, plus apaisantes.

Pour l’animateur que je suis, cet atelier n’a pas été idéal : difficile de faire connaissance dans un laps de temps si court ; difficile de ménager une place à chacun, dans toute la diversité des parcours professionnels, des rapports à l’expression écrite et orale ; difficile d’accepter la frustration de questions majeures à peine effleurées. Ça donne envie d’y revenir, à Pierre-Bénite ou ailleurs. L’idéal est un horizon !

Patrice Bride


Des échos à cet atelier

Le tour de table de clôture de l’atelier a pris les couleurs de l’arc-en-ciel : chacun était invité à choisir une couleur correspondant à son état d’esprit du moment. Voici la palette de cet atelier.

  • rouge, comme la colère, parce que le travail reste une activité dure.
  • grise, comme la blouse d’ouvrier de mon père, parce que la lutte des classes n’a pas disparu.
  • vert, parce que le travail est important à la construction de la personne, comme contribution à la vie sociale.
  • bleu, comme couleur complémentaire au jaune lumineux.
  • bleu, comme couleur de l’infini, du ciel très clair, plaisant.
  • vert, comme l’apaisement de choses lourdes, comme l’envie d’être positif et de faire confiance dans un monde violent.
  • bleu nuit, pour regarder le temps qui passe.
  • vert, comme l’espérance.

Et voici un texte écrit par l’une des participantes.

Monsieur le maire m’appelle dans son bureau. Je suis calme, détendue, sereine. Peut-être la perspective de ces prochaines grandes vacances. Je pars dans quelques jours, je suis heureuse, mes premières vraies vacances depuis que je travaille comme assistante sociale ici. Cela fait six mois que j’ai été embauchée.

Je monte les escaliers, passe devant sa secrétaire et lui dit que le maire m’a demandé de venir le voir. Il m’a toujours semblé efficace mais froid et distant.

Je suis devant la porte. Je toque. « Entrez ! » J’appuie sur la poignée et pousse la porte. Son bureau est majestueux, c’est l’une des plus belles pièces de la mairie, il est immense.

Il m’invite à m’assoir en face de lui et m’expose la raison de son appel. Il a besoin que je lui donne la liste nominative de toutes les familles de harkis de la commune. Là, je perds ma belle contenance et mon sourire. Tenue au secret professionnel, je ne peux lui fournir ce qu’il me demande. Je le lui dis très tranquillement, bien qu’un peu inquiète. Je ne suis pas encore titulaire…

Il comprend immédiatement l’embarras dans lequel il me place. Je lui propose alors de recenser les difficultés majeures rencontrées par ces familles d’un point de vue global et non nominatif.

Il approuve ma proposition. Tout sourire malgré ce surcroit de travail imprévu juste avant les vacances, je suis heureuse qu’il ait saisi la difficulté dans laquelle il me met. Je le remercie.

Arrivée dans mon bureau, je ressors tous les dossiers des familles en question et je recense leur nombre, le nombre d’enfants en bas âge, de moins de 18 ans, de plus de 60 ans, etc. Je note la totalité des secours demandés et acceptés dans les différents domaines (aide médicale, paiement de loyer, de facture…). Je répertorie les besoins en logement plus grand, plus petit… Bref !

Le lendemain soir, les statistiques finies selon les critères requis par le maire, je téléphone à sa secrétaire pour savoir s’il est disponible. Je n’ai rien fait d’autre toute la journée qu’écrire et remplir (à la main, à l’époque je n’ai pas d’ordinateur) des tableaux. Je pense que mon travail le satisfera pleinement.

Il me donne rendez-vous le lendemain à la première heure. Je suis un peu tendue. Je lui remets le document qui fait trois pages. Il le parcourt des yeux et me dit : « Ça, c’est du bon boulot ! Vous avez bien mérité vos vacances. »

Martine S.